Article paru dans la GA N°461 de février 2014

Modèle n’est pas date de fabrication !

dimanche 2 février 2014, par Jean-Jacques BUIGNE membre du CA de la FPVA

On pourrait s’étonner que nous revenions une fois de plus sur la définition du modèle. Mais, pour les collectionneurs, c’est le point primordial. De la bonne compréhension technique de cette notion de base dépend la quiétude des armes de collection pour les années à venir.

Tout a commencé il y a 75 ans, lorsque l’on a défini les armes de collection comme celles dont l’année du modèle est antérieure à 1870 [1]. Il n’était pas question de date de fabrication.

Puis l’administration a reconnu que les années avaient passé et a repoussé l’année du modèle à 1885 [2]. Mais ce fut de courte durée puisque l’année suivante [3] le millésime a été remis à 1870. Le motif : des répliques à cartouches métalliques avaient envahi le marché. Bien qu’aucune d’entre elles n’ait été utilisée lors des évènements de mai 1968, les autorités du moment ont eu peur de voir en vente libre des Colt SA en 44-40 fabriqués par Uberti.
Déjà à l’époque l’indifférenciation des répliques et des modèles d’origine a été source de problèmes. Par la suite, un texte exclut du classement en 8e catégorie les répliques qui utilisent des munitions à étui métallique. Ainsi la confusion armes authentiques et répliques avait cessé et les reproductions étaient règlementairement définies. Donc plus rien ne s’opposait à repousser le millésime de classement des armes de collection. Mais il faudra encore attendre 34 années pour qu’il bouge définitivement en dehors d’une période éphémère dans les années 1968(2).

Et pourquoi 1900 ?

Il faut juste savoir que l’UFA a été créée en 1979 justement pour faire évoluer ladite règlementation des armes de collection. Après quelques succès dans les années 1980 (les revolvers 1873 et les calibres militaires de plus de 11 mm) et la liste de déclassement en 1986, ce n’est vraiment qu’en 1993 que l’association a pris le mors aux dents : il s’agissait d’exclure de la 5ème catégorie certaines armes d’épaule collectionnées qui, bien que reconnues obsolètes par arrêté, restaient classées en 5ème catégorie. ll était impensable que des armes obsolètes d’un âge vénérable qui ne pouvaient plus qu’être collectionnées soient soumises à déclaration.

Puis l’ONU est venu apporter de l’eau au moulin de la collection. Dans un protocole destiné à assurer la traçabilité des armes lors d’échanges internationaux, l’ONU affirme que le texte ne s’applique qu’aux armes fabriquées après 1899. Ainsi a été créé pour la première fois un texte de portée internationale fixant le millésime à 1900. Vous avez bien noté qu’il s’agissait des armes fabriquées et non pas les armes du modèle postérieur à 1900.
Il n’en a pas fallu plus pour que l’UFA s’engouffre dans la voie ouverte et réclame inlassablement le millésime de 1900.

Quand tout bascule

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La loi « relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif » a été votée à l’unanimité par les parlementaires des deux chambres, dans un consensus gauche-droite, ce qui lui donne encore plus de poids et de pérennité.

La Commission des Lois de l’Assemblée Nationale a confié la direction de la Mission Parlementaire sur les Violences par arme à feu à Bruno Le Roux. Lors de son audition Jean-Jacques Buigné s’est étonné de sa convocation. Il a patiemment expliqué que le collectionneur d’armes anciennes n’est aucunement concerné par les « violences par arme à feu. » Cela lui a donné l’occasion d’expliquer que le collectionneur d’armes est un être pacifique qui, avec ses objets du patrimoine, recherche l’Histoire. Dans son volumineux dossier il expliquait pourquoi la date de 1900 devait être reprise.

La suite, tout le monde la connaît : le rapport de la Mission Parlementaire a été au-delà de la demande des collectionneurs en proposant le millésime de 1900 comme modèle et non comme date de fabrication. Et à l’unanimité des deux chambres les parlementaires ont adopté le modèle de 1900. C’est donc ce choix parlementaire que la règlementation se doit d’appliquer à l’exclusion de tout autre.

Modèle n’est pas fabrication

Aujourd’hui l’administration est perplexe sur ce concept de modèle dans la définition du millésime. Il est évident que le concept de modèle ne peut pas être remplacé par celui de date de fabrication sinon, pourquoi les parlementaires auraient-ils choisi celui de modèle pour l’inscrire dans le « marbre » de la loi ? Et s’il devait y avoir de mauvaises interprétations de ce concept, rien ne sera plus facile que d’exposer aux juridictions administratives ou pénales (y compris les plus hautes) la différence fondamentale entre les deux : un même brevet couvre plusieurs dates de fabrication. Donc introduire la date de fabrication compliquerait inutilement la législation en créant des sous-catégories se référant en réalité à une même arme. Alors on serait loin d’une législation « simplifiée. »

C’est quoi la différence ?

La différence est simple :

- une « date de fabrication » fait référence à l’année durant laquelle l’arme est sortie d’usine ou a été assemblée par un artisan.
- un « modèle » est fondé sur des caractéristiques mécaniques détaillées dans un brevet qui a été enregistré légalement.

Si en un siècle on a totalement perdu la « traçabilité » d’origine avec le matricule de l’arme, on a parfaitement conservé dans les archives la totalité des brevets. C’est donc avec une parfaite sagesse que le législateur a retenu le concept de modèle comme critère de classement.

Il faut se garder de se tromper de débat, les armes dont il est question ne sont ni des armes à grande capacité, ni à tir rapide mais uniquement des « vieux trucs obsolètes »

Si tout commence par un brevet...

En principe toute arme a fait l’objet d’un brevet déposé de façon à protéger la propriété industrielle de l’inventeur. La plupart du temps, il y a eu de nombreux brevets additionnels qui ont permis de protéger les détails de l’évolution technique qui ont amélioré le fonctionnement mécanique ou sa fiabilité mais aussi la précision qui peut s’exprimer par des modifications d’instruments de visée.

Ainsi, on peut trouver des armes qui sont couvertes par de multiples brevets. A l’évidence, c’est le brevet originel qui compte. Prenons l’exemple du fusil Rolling Block. Le premier brevet connu date de 1863. Puis il y a une suite de brevets qui s’étale de 1864 à 1873, enfin 1901 pour le dernier en 8 mm lebel. A noter qu’il n’y a eu aucune évolution majeure et que le modèle 1901 est quasiment identique au modèle 1863 si ce n’est le calibre. Notons au passage qu’il serait impensable de classer le mle 1901 en catégorie C du fait de son appellation. C’est un modèle 1863 d’un calibre différent. Il est juste dans un calibre 8 mm lebel dont l’arme qui tire cette munition est classée par ailleurs en catégorie D2 du fait de son modèle 1886. Mais contrairement au Lebel, le Rolling Block mle 1901 est à un coup !

Il y a aussi l’exemple du mousqueton R35. Ce modèle 1886 a été « retravaillé » en 1935 : on a changé le canon par un plus court, donc réduit le nombre de coups. Il serait impensable de le classer dans une catégorie supérieure au modèle d’origine, alors qu’il est d’une « dangerosité » considérablement réduite !

...cela peut continuer par un modèle !

Un autre exemple intéressant est celui du Colt New Army. Les premiers modèles portent sur le canon la mention du brevet du 5 août 1884 suivie de celle du brevet de 1888. Puis sur les modèles plus tardifs celle du brevet du 5 mars 1895.

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Ce Colt 89 en cal 41 LC comporte des dates de brevets échelonnées de 1884 à 1895 et il a été fabriqué en 1904.

Sur les modèles militaires on peut par ailleurs trouver sur le talon de crosse le marquage « US Army model of 1892, 1894, 1896, 1901 et 1903. »
Cette arme est intéressante pour notre démonstration car elle illustre bien la confusion : la date de conception du mécanisme est celle des brevets qui figurent sur le canon. Alors que la mention du modèle qui figure sous le talon de crosse ne marque que la passation du marché commercial entre la firme Colt et l’US Army.
Notons un paradoxe historique : certains Colt de l’US Army marqués 1896 au talon ont été fabriqués en 1903.

Date de fabrication : un concept non retenu

Devant des interrogations sur le classement, on pourrait être tenté de confondre modèle, donc date de brevet, et date de fabrication. Mais ce serait une très mauvaise idée.

Pour trouver une date de fabrication, quand elle n’est pas inscrite sur l’arme, il faut consulter les archives des fabricants. Et celles-ci sont pour la plupart du temps absentes, détruites depuis longtemps ou parfaitement inaccessibles. Il s’agit d’archives de la fin du XIXème siècle et non de fichiers informatiques du XXIème siècle. Alors que les dates brevets sont plus faciles à consulter et à authentifier.

En matière d’armes historiques, ce n’est pas comme le « Port Salut », même si c’est écrit dessus cela ne signifie pas qu’il s’agit de la date de fabrication. Prenons comme exemple le fusil Lebel : la plupart ont été fabriqués avant 1900. Les dates postérieures que l’on peut trouver sur les canons correspondent à un changement des canons usés en manufacture.

Ainsi il est très difficile pour un collectionneur et même pour un policier formé aux armes anciennes de déterminer la date de fabrication. On s’acheminerait vers d’interminables querelles d’experts. Cette incertitude représenterait une insécurité juridique, les poursuites seraient faites sur des bases particulièrement floues créant une rupture d’égalité. Et l’on pourrait se retrouver avec une jurisprudence au cas par cas, donc difficile à suivre pour les collectionneurs.

Changer de mode de classement, à peine la nouvelle loi applicable, démontrerait encore une fois une incohérence juridique à l’égard des armes. Alors que ce dont ont besoin les détenteurs, c’est bien de stabilité. Ceux qui ont acquis depuis le 6 septembre 2013 des armes en se fondant sur leur modèle ne comprendraient pas que l’on change la définition au « milieu du gué », cela au profit d’une méthode d’une extrême complexité.

La loi, c’est la loi !

La loi restreint le classement des armes à uniquement deux méthodes :
- Le « classement... ...est fondé sur la dangerosité... ...(qui) s’apprécie en particulier en fonction des modalités de répétition du tir ainsi que du nombre de coups tirés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un réapprovisionnement de l’arme. »
- « Les armes et matériels historiques et de collection ainsi que leurs reproductions sont... sauf lorsqu’elles présentent une dangerosité avérée, les armes dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1900. »

Le législateur a donc défini le concept de « dangerosité » et précisé le millésime de l’arme de collection. Ces définitions sont sans équivoque et se rapportent au « modèle ». En aucun cas le législateur n’a évoqué une quelconque « date de fabrication. » La seule exception qu’il a permis reste la « dangerosité avérée. » Encore que cette dernière doit être démontrée et ne peut pas en rester au stade de l’abstraction.

La « chose » étant parfaitement claire, il n’y a plus qu’à « appliquer » sans rien ajouter ni retrancher à la loi.

La difficulté à déterminer la date de fabrication sur une arme mythique
Il existe un sacré flou sur les dates de la fabrication des fusils Lebel et les collectionneurs « s’étripent » sur les forums à ce propos.

Il semble que la fabrication du modèle 1886 ait commencé en 1887 pour se poursuivre jusqu’en 1903 par les trois manufactures : MAS, MAC, MAT. Comme, à cette époque, trois millions de Lebel étaient disponibles dans les arsenaux, pour une armée de 900000 hommes, on a arrêté la fabrication. Il semble que, par la suite, seules des réparations d’armes détériorées ont été faites par Châtellerault et peut-être de petites reprises de fabrication pendant la guerre et vers 1920. Encore que cela ne soit pas certain, les armes portant des dates tardives résultent souvent du remontage d’un canon neuf en remplacement du canon d’origine usé par les tirs.

Cet exemple de la fabrication du Lebel illustre mieux que tout autre la difficulté à cerner la date de fabrication. On se pose encore la question alors qu’il s’agit d’une arme majeure dans l’histoire nationale de la France et pour laquelle beaucoup d’archives officielles sont encore disponibles.


[1Circulaire du 14 août 1939 (JO du 19 août). Cette circulaire a été confirmée par celle du 21 novembre 1960 (JO du 1er décembre,

[2circulaire du 29 juillet 1967 (JO du 1 septembre),