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Figuration antique : armes et porteurs (III)
Analyse historique des reliefs militaires romains impériaux
mercredi 4 mars 2015, par
Dans notre précédent article, nous soulignions les difficultés à analyser les porteurs et les modes de ports des armes des second et troisième siècles, présentes sur les représentations épigraphiques.
Il est désormais temps d’analyser ces faits et tendances.
Analyse
Prééminence des armes offensives
Comment peut-on expliquer que la part d’armes offensives soit si grande au sein de notre corpus ?
On en est, du fait de la distance chronologique nous séparant des sujets et du peu de témoignages contemporains des stèles sur le sujet, malheureusement réduit au niveau des hypothèses, ce qui sera monnaie courante au sein de cette étude. Toutefois, je mets en garde mon lecteur contre un travers courant, qu’il doit éviter à tout prix, celui qui consiste à penser qu’en histoire, l’hypothèse n’est qu’une farce sans fondement. En effet, si l’hypothèse n’est pas une valeur certaine, du fait du peu de preuves qui l’accréditent, elle demeure une base de travail essentielle, et je remarque que beaucoup tentent de trouver une version définitive de l’histoire, qui s’avère le plus souvent inexacte et à reprendre, alors que bien peu se risquent à faire tomber des hypothèses qui pourraient s’avérer exactes plus tard.
Il serait assez étonnant d’avancer la théorie de l’esthétique. En effet, il est peu probable que tous les soldats aient eu la même préférence (toujours dans le domaine esthétique) pour leur glaive ou leur pilum en même temps, d’autant que, comme on le verra plus tard, les armes différaient selon l’artisan. De plus, le bouclier présente une bien plus grande zone d’expression artistique et le ceinturon décoré est, lui, attesté sur une grande majorité de stèles, y compris au sein de notre corpus.
Deux hypothèses sont possibles.
Premièrement, il est assez clair qu’étant donné que les représentations figurées qui nous intéressent ont pour but d’entretenir la mémoire des vivants, lesquels ne sont pas forcément soldats, il est tout à fait possible de supputer que la présence prééminente des glaives et des lances est là dans un intérêt ’’idéologique’’. En effet, tout comme de nos jours on se représente mieux le soldat par son fusil que par son casque, il est fort probable que l’inconscient collectif antique se représentait bien mieux la profession du défunt si ce dernier était figuré accompagné d’une arme offensive, laquelle est associée immédiatement à la violence et au combat.
Ensuite, une autre hypothèse, plus osée, est celle qui consiste à se mettre à la place du lapicide. Il est facile d’imaginer la tâche harassante qui incombait à cette profession, et il n’est pas idiot de penser que si les armes offensives, pilums et glaives, sont d’avantages représentés, c’est aussi du fait de leurs lignes droites, parallèles, de relief moins prononcé qu’un umbo car ce sont obligatoirement des objets relativement fins.
Enfin, je ne peux passer outre une certaine explication psychologique à cette omniprésence des armes offensives. Cette hypothèse est bien entendu à prendre avec les précautions d’usage qui président les thèses psychologiques, en particulier quand si peu de sources nous renseignent sur ce point et quand le rapport aux armes étudié est si lointain chronologiquement parlant.
Pourtant, ce rapport aux armes est-il si lointain quand nous nous plaçons du point du vue du militaire ? Si l’on part du principe que ce postulat ne concerne que les stèles ayant été préparées à l’avance par les futurs défunts, il est possible qu’une préférence pour l’arme offensive se soit opérée. Selon moi, cette préférence peut être de deux natures : la première, esthétique, que j’ai déjà abordée plus haut, est à rapprocher d’un autre objet omniprésent et souvent décoré, apprécié des militaires, le ceinturon .
La seconde possibilité peut-être que la préférence inconsciente pour les armes offensives soit due à la puissance de ces objets, pouvant causer mort et blessures. Du fait de la représentativité des armes offensives, de la puissance de ces dernières, aptes à apporter la mort, et de la place artistique et pratique de ces dernières, on peut comprendre que leur place soit plus grande que les armes défensives, souvent moins dangereuses et ayant moins d’impact que leurs cousines.
Armes et porteurs, une représentation « à double vitesse »
Attardons-nous maintenant sur quelques stèles surprenantes de notre corpus et tentons d’expliquer leurs caractéristiques.
La stèle (voir à gauche) nous présente un soldat aux proportions étranges alors que sa bandoulière et la garde du glaive sont admirablement détaillées ; la stèle suivante, elle, présente, malgré l’abrasion de la pierre, un caractère singulier ; en effet, le pilum dépasse du cadre de la représentation et le lapicide l’a prolongé jusque dans le fronton de la stèle, ce qui n’est pas anodin et dénote une volonté consciente de représentation de cet élément, il ne peut s’agir d’un simple élément de remplissage. Encore une fois, les stèles montrent souvent des individus peu détaillés mais des pièces d’armement réalistes et finement représentées. Cela montre la prépondérance de l’armement défensif comme offensif au détriment du personnage, presque entièrement caché derrière son bouclier, son armement...
Ce ne sont que quelques-uns des nombreux exemples qu’on peut trouver, à divers degrés, des dissemblances entre la représentation de l’individu et celle de son équipement.
Que peut-on conclure de ces différences si marquées entre le porteur de l’arme et cette dernière ?
Si l’on s’accorde à dire que le IIIème siècle est le début d’un retour à l’individu comme étant le centre des représentations. Pourtant, ces stèles, d’origines diverses et réparties diversement dans le temps, ont toutes mis l’accent sur l’équipement, et le plus souvent sur l’armement offensif. Dans des cas très précis, il s’agit d’un procédé bien compréhensible de mise en avant d’une arme comme insigne de fonction, l’arme a ici un rôle social, et si le lapicide et le commanditaire ont soigné sa représentation, c’est parce qu’elle agit comme un vecteur de mémoire et de reconnaissance pour les vivants, qui se souviendront ainsi de la place du défunt dans l’armée et, plus généralement, la société. Ces cas ne sont donc pas à proprement parler des centrages sur l’armement, mais plutôt sur l’individu via l’armement. Il en est de même concernant les représentations de civils tenant un glaive , ce sont leurs anciennes fonctions qui sont ici rappelées.
On peut suivre ce même raisonnement dans les autres cas de mise en avant de l’armement, mais à une autre échelle. En effet, attirer l’attention sur l’arme, c’est attirer l’attention sur le statut qu’a, ou avait, le défunt, en l’occurrence un statut militaire. Cela permet de dégager un autre aspect des choses, en effet, si l’arme est si représentative d’un statut précis, on peut supposer que c’est parce qu’elle n’était pas ou peu présente en dehors de ce statut, et en suivant toujours ce raisonnement, on peut en conclure que les individus armés en dehors des conditions de service étaient, comme de nos jours, minoritaires et que le port d’arme n’était pas courant dans la société civile du IIIème siècle.
Malgré tout, il n’est pas impossible que dans les cas de ces stèles où l’équipement militaire est largement mis en avant, ce soit également l’arme elle-même qui soit mise en avant ; toutefois, il est peut-être hasardeux de parler d’un goût pour les armes, conservé par les anciens militaires une fois leur service terminé, du moins il s’agit d’une théorie peu vérifiable quand bien même elle serait exacte.
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