Nouvelle règlementation

Le classement du Colt modèle 1873 "Single Action".

Comment classer ?

mardi 1er septembre 2015, par Erwan

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Colt Single Action Army à canon de 71/2 pouces surnommé « Cavalry Model ». (Photo : James Julia Auctions)

Pour les collectionneurs, le revolver Colt Single Action Army est l’un des modèles d’armes le plus chargé de valeur affective et symbolique. Ce revolver est étroitement associé à la culture de la conquête de l’Ouest à tel point que les réalisateurs hollywoodiens l’ont souvent montré à tort, dans certains Westerns, alors qu’il aurait fallu des revolvers à percussion.

Pour les collectionneurs, français seniors, cette arme à simple action, contemporaine de notre revolver modèle 1873 national, représente aussi une certaine image du paradis perdu : comme les autres armes antérieures à 1885, il avait en effet été classé en catégorie collection (8e catégorie à l’époque) en 1967, puis avait été reclassé en 4ème catégorie (armes de défense) deux ans plus tard. Aucun délit n’avait pourtant été commis avec un Colt Single Action Army durant cette courte période pendant laquelle l’agitation de mai 1968 aurait pourtant pu occasionner certains débordements.
C’est donc à titre préventif que le gouvernement avait ramené la date butoir des armes de collection à 1870 à cause de l’arrivée massive sur le marché de répliques italiennes de Colts SAA tirant des cartouches modernes à poudre sans fumée, et aussi à cause de l’erreur de certains marchands avides de profits à court terme, qui s’étaient mis à commercialiser des cartouches chargées de fabrication récente pour ces revolvers.

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Colt Single action à canon de 5 pouces ½, souvent appelé « Artillery model ».

Ce petit rappel historique résume à lui seul toute la problématique du classement légal du Colt Single Action Army : autant les modèles anciens n’inquiètent pas particulièrement le législateur, autant la perspective de voir arriver sur le marché des reproductions [1] ou des refabrications [2] modernes, disponibles en quantité, lui occasionne des angoisses génératrices de durcissements législatifs.

Les principaux fabricants de reproductions ont été italiens, espagnols, allemands et belges mais peut-être verrons-nous dans un jour la dynamique industrie chinoise se lancer aussi dans ce domaine, comme elle l’a déjà fait pour d’autres armes d’épaule de la légende de l’Ouest ?

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Colt Sheriff model à canon de 3 ½ pouces,et dépourvu de baguette d’éjection, souvent appelé « Peacekeeper » : (le pacificateur. Document Icollectors)

La firme Colt s’est pour sa part livrée à des refabrications en relançant après la Seconde Guerre Mondiale la fabrication du SAA qui avait été arrêtée en 1941. Avec sa platine à double action, l’arme était totalement dépassée sur le plan technique depuis les alentours de 1880, mais elle conservait une aura toute particulière associée à la mythologie de la conquête de l’Ouest, exacerbée par le cinéma !

La création du Colt Single Action Army se situe vers 1871. A cette époque, Colt, qui dans le domaine des armes de poing avait pris du retard par rapport à Remington et Smith et Wesson, désirait profiter de l’arrivée à péremption des brevets détenus par ses concurrents, pour revenir au premier rang des fabricants de revolvers. Pour cela Colt créé une arme à carcasse fermée [3] capable de tirer des cartouches très puissantes et une arme à barillet percé de part en part, pouvant être chargée avec des cartouches à étui métallique par l’arrière du barillet.

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Le Colt Bisley Model, version de tir du Colt Single action, est soumis au même régime de classement que ce dernier. Seuls les exemplaires dont le numéro de série est inférieur à 192000 sont classés en catégorie D. (Rockisland Auctions)

Le nouveau revolver Colt fut immédiatement proposé à l’armée des États-Unis qui l’adopta en calibre .45. L’arme connut un succès immédiat, non seulement auprès des militaires mais aussi dans le milieu civil ou elle séduisit tous ceux qui menaient une vie dangereuse et avaient besoin d’une arme puissante et d’un fonctionnement sûr. L’excellente prise en main du Colt Single Action le rendait particulièrement apte au tir instinctif, aussi devint-il l’arme favorite des hommes de la conquête de l’Ouest auprès desquels il acquit le surnom de « Peacemaker » (« Le Pacificateur »). La production de ce modèle s’éleva à plus de 300000 exemplaires [4] fabriqués entre 1873 et 1940, chambrés en une trentaine de calibres dont les plus populaires furent de loin de .45 Colt et le .44-40 Winchester [5]. Les exemplaires, fabriqués avant 1941 sont appelés « Colts Single Action de la première génération »

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Une certaine image du mythe américain. (D.R.)

A la demande des amateurs d’armes américains, Colt relança la fabrication du Single Action Army en 1955. A cette époque, un revolver à simple action, dépourvu d’extraction collective des étuis était techniquement dépassé mais c’était un symbole de la nation américaine, plus qu’une arme réellement fonctionnelle que les acheteurs de ces nouveaux Colts voulaient acquérir. Les numéros de série des Colts Single Action fabriqués de 1956 à 1978 débutent à 0001SA pour prendre fin à 99999 SA. Cette première série d’après-guerre est appelée « Seconde génération ». La présence du suffixe SA suffit à indiquer qu’un revolver SAA est une refabrication de cette période.
La production continua ensuite à partir de 1978 (on parle alors de « troisième génération ») jusqu’à nos jours avec des armes identifiées par des numéros de série cette fois précédés du préfixe SA : SA 00001 etc.

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Le général Georges Patton est resté célèbre pour avoir porté au cous de la seconde guerre mondiale une paire de Colt à crosse d’ivoire. (Toile de Boleslaw Jan Czedekowski réalisée à Bad Töltz en 1945)

Le Colt Single action est sans doute l’arme la plus collectionnée au monde, aussi s’est-il développé aux États-Unis une véritable industrie du faux, reprenant ou refaisant les marquages effacés, ajoutant des marquages militaires à des armes civiles pour en augmenter la valeur ou leur gravant des dédicaces de personnages célèbres. L’état de surface des certains Colts un peu piqués extérieurement est aussi souvent amélioré par des gravures, qui lorsqu’elles sont bien faites masquent les piqûres et auxquels un renickelage et le montage de plaquettes en os ou en nacre viendront conférer un aspect luxueux et un prix en rapport !

L’existence de ces refabrications Colt, ainsi que le risque de se voir un jour confronté à l’apparition de copies marquées à l’identique, produites en masse par d’autres fabricants, a conduit le législateur français à inclure les plus récents de ces Colts dans la catégorie des armes à dangerosité avérée, dont l’acquisition reste soumise au régime d’autorisation préfectorale.
Les Colts à simple action portant un numéro de série inférieur à 192000 ont toutefois été maintenus en catégorie D2.

Lors de la préparation des textes d’application de la nouvelle législation, notre association avait proposé que seul l’ensemble des revolvers Colt Single Action fabriqués avant la Seconde Guerre Mondiale soient classés en catégorie D2. Cet avis n’a malheureusement pas été retenu.

Bien que nous le jugions un peu trop restrictif, le classement choisi par l’administration répond pour une fois à une certaine logique technique, car le changement de catégorie correspond au début de la production chez Colt, vers 1900, de revolvers adaptés au tir de cartouches à poudre sans fumée.

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John Wayne à ses débuts : son image est devenu quasiment inséparable de celle du Colt Single action. (D.R.)

La formulation de l’arrêté ouvre malheureusement la porte à beaucoup de dérives car elle ne prend pas en compte le fait que la numérotation des refabrications Colt a commencé en 1956, comme en 1978 au numéro 0001 et que seuls les suffixes ou les préfixes SA distinguent ces numérotations de celles d’avant las Seconde Guerre Mondiale. De l’avis de beaucoup de collectionneurs, classer en catégorie D2 les Colts à simple action d’un modèle antérieur à 1900 aurait évacué cette ambiguïté, mais en établissant la liste des armes à dangerosité avérée, le rédacteur de l’arrêté du 2 septembre 2013 a eu le souci de simplifier la tâche des gendarmes et policiers, chargés de contrôler la bonne application de la loi dans les bourses aux armes, comme dans les collections, en leur fournissant un élément d’identification supposé indiscutable sous forme d’ un numéro de série butoir.

Ambiguïtés de l’arrêté du 2 septembre 2013

En ce qui concerne les Colts, la rédaction de l’arrêté du 2 septembre est donc ambigüe sur plusieurs points :
- elle limite son champ d’application aux revolvers Colt, sans faire état des copies d’autres marques. [6],
- elle oublie de prendre en compte les refabrications Colt d’après-guerre.

Les versions de tir du Colt SA appelées « Bisley Models » sont souvent présentées à tort par les vendeurs comme des modèles différents du single Action, échappant ainsi aux impératifs de classement imposés aux Colt Single Action. Précisons qu’il n’en est rien et que ces modèles sont une simple variante de tir du Single action apparue en 1894 et fabriquée jusqu’en 1915.

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Eroll Flynn avec un Colt Single action à canon de 7 ½ pouces. (D.R)
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Barbara Payton, Colt Single action à la main fait face à une volée de flèches enflammées lors d’une attaque d’Indiens. (Photo du film « Only the Vaillants » avec Gregory Peck)

Si l’on excepte la forme de la poignée et la longueur du grand ressort, les modèles de tir « Flattop Target » et « Bisley Model » sont mécaniquement identiques aux autres « Single Action » modèles 1873 et ils sont inclus dans les mêmes fourchettes de numérotation. Si le législateur avait mentionné dans la liste des armes à dangerosité avérée « Le Colt Single action Army », il aurait été possible de plaider le classement en D2 du Bisley Model en prétextant qu’il ne s’agissait pas d’un modèle « Army » mais d’une arme à vocation sportive et purement civile. Mais le rédacteur de ce texte s’en est prudemment tenu à mentionner comme maintenus en catégorie B « les revolvers Colt single action de tous calibres d’un numéro de série supérieur à 192000 » .

Les pièges à éviter

L’achat d’un Colt single Action modèle 1873 nécessite donc beaucoup de prudence. Il importe avant tout de vérifier que le numéro de série classe bien l’arme en catégorie D2 et qu’il ne comporte aucun préfixe ou suffixe « SA » ou autres [7].

Cette seule précaution indispensable ne mettra toutefois pas le collectionneur non averti à l’abri d’un faussaire qui aurait habilement maquillé les numéros de série d’un revolver fabriqué après le 1er janvier 1900, pour en faire une arme de catégorie D2.

Il importe donc de se faire délivrer une facture identifiant clairement le vendeur, l’arme vendue, son numéro de série et son classement, afin qu’en cas de contestation ultérieure le vendeur ne puisse nier avoir cédé l’arme faisant l’objet du litige et non une autre.

Attention
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Sur les premiers Colts, prévus pour le tir de cartouches à poudre noire, l’axe de barillet est arrêté par une vis.

En dehors du fait qu’une arme au numéro maquillé perd toute valeur de collection, si la falsification est mise en évidence, elle apportera à celui qui l’a réalisée des ennuis bien plus graves que le simple fait de détenir un Colt SAA classé en catégorie B, car aux poursuites pour détention illégale viendront s’ajouter celles qu’engagera le ministère publique pour falsification des marquages.
Mieux vaudra alors pour le détenteur du moment pouvoir prouver qu’il a acheté de bonne foi une arme déjà falsifiée en croyant qu’il s’agissait d’une arme de catégorie D2.

L’exemple du Colt Single Action met une fois de plus en évidence le fait que le monde de la collection a changé d’époque en septembre 2013 : les transactions furtives effectuées dans des coffres de voiture à la sortie des bourses, les paiements en argent liquide d’armes vendues sans facture appartiennent désormais au passé et le juridisme a fait son entrée dans le monde de la collection comme dans bien d’autres domaines de la société. Notre époque est désormais celle de la transparence, de la traçabilité et de la rigueur !

Falsifier un marquage (matricule par exemple) est réprimé par le Code Pénal : La contrefaçon ou la falsification d’une marque de l’autorité publique est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 € d’amende. (CP, art 444-3-5).)

Tableau de correspondance des matricules des Colts Single Action

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Lorsque Colt mit en service les nouvelles carcasses de Colt single action, adaptées à la poudre sans fumée, il dota ces dernières d’un poussoir permettant de déverrouiller aisément à la main l’axe du barillet.

Numéros de série par année jusqu’à 1890 :
-  1873 : 1 à 3700
-  1874 : 3700 à 15000
-  1875 : 15001 à 22000
-  1876 : 20001 à 33000
-  1877 : 33001 à 41000
-  1878 : 41001 à 49000
-  1879 : 49001 à 53000
-  1880 : 53001 à 62000
-  1881 : 62001 à 73000
-  1882 : 73001 à 85000
-  1883 : 85001 à 102000
-  1884 : 102001 à 114000
-  1885 : 114001 à 117000
-  1886 : 117001 à 119000
-  1887 : 119001 à 125000
-  1888 : 125001 à 128000
-  1889 : 128001 à 130000
-  1890 : 130001 à 136000 |

En tout, 359 722 Colt SAA ont été construits entre 1873 et fin 1941 ; y compris les 45 326 Bisleys, fabriqués de 1894 à 1912 et les 1 863 Colt SAA à percussion annulaire, fabriqués entre 1875 et 1880. (source : Wilkipedia)

A l’origine, authentiques et répliques confondues

Tous les collectionneurs "seniors" se souviennent de cette embellie mémorable ou la date du millésime de référence fut portée à 1885 [8] ce qui rendit libre le revolver Colt S.A.1873, témoin de la conquête de l’Ouest.
A l’époque, les fabricants étaient peu nombreux : Centaure en Belgique et Uberti en Italie produisaient des armes de qualité. Un grand nombre d’autres fabricants italiens de Brescia produisaient des armes plus vite fabriquées.
Le revolver Colt Peacemaker était donc libre, aussi bien les modèles authentiques que les répliques.
Puis il y eut les événements de mai 1968 qui firent vaciller la République. Dans le même temps, à la sortie des films de western, les vendeurs de répliques de l’époque distribuaient à la sortie des cinémas des prospectus pour vendre leurs revolvers.

Le ministère s’émut de ces ventes importantes d’armes dans le " genre " et dans une circulaire [9] mit en garde : " l’attention est particulièrement attirée sur le fait que ces reproductions ne peuvent être considérées comme appartenant à la 8ème catégorie qu’à la condition expresse qu’elles reprennent avec une exactitude rigoureuse toutes les caractéristiques des modèles d’armes antérieurs à 1885 ; cette exactitude rigoureuse s’impose non seulement pour les armes elles-mêmes mais encore pour les munitions qu’elles utilisent, dont la charge doit avoir une composition identique à celles des munitions des modèles antérieurs à 1885.
Bien qu’aucun de ces revolvers 1873 ne fut utilisé durant les révoltes estudiantines, devant l’afflux de répliques à cartouches métalliques, le millésime fut ramené à 1870. Détail important, dans son dernier alinéa la circulaire précisait : les personnes ayant acquis, pendant la période s’étendant du 27 juillet 1967 au 23 janvier 1969, des armes et munitions des modèles situés entre 1870 et 1885, pourront les conserver sans formalité.

Attention circulent sur le marché des répliques type Western SAA, 6 coups 4 mm. Il s’agit d’armes de catégorie B, soumises à autorisation. Vidéo.


[1Reproduction : reprises de fabrication plus ou moins fidèles réalisées par des fabricants autres que fabricants historiques

[2Refabrications : reprise par le fabricant d’origine, d’une production abandonnée en conservant fidèlement les caractéristiques et les marquages de l’arme d’origine.

[3Les prototypes développés vers 1872 pour Colt par l’ingénieur en chef de la société Colt :William Mason étaient appelés "Strap Pistol" (Pistolet avec une bande en dessus du barillet)

[4Les longueurs de canon standard étaient de 7pouces1/2" surnommé « Cavalry Model », 5 pouces ½",surnommé « Artillery Model, et 4 pouces3/4" dépourvu d’éjecteur latéral surnommé « Sheriff Model ». D’autres longueurs pouvaient être obtenues sur commande. Les armes achetées par l’armée américaine sont marquées sur la carcasse des lettres US et portent sur différentes pièces des poinçons d’inspection.

[5Les revolvers chambrés en .44-40 sont traditionnellement appelés « Frontier Six Shooter ».

[6Leur classement en catégorie D2 reste toutefois contestable, car la plupart de ces copies diffèrent généralement sur des points de détail des Colts d’origine, ce qui rend leur classement comme armes d’un modèle antérieur à 1900 très douteux.

[7Certaines séries d’après guerre, comme les Scouts Model » en calibre .22 portent des suffixes « Q » ou « F ».

[8Circulaire du 29 juillet 1967,

[9Circulaire du 11 juin 1968,