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Gazette des armes, novembre 2010 n° 424

Effervescence législative 2ème partie.

dimanche 17 octobre 2010, par Jean-Jacques BUIGNE membre du CA de la FPVA


Le mois dernier, nous évoquions les différentes procédures en cours dans cette grande réforme de la règlementation. Aujourd’hui nous y voyons plus clair : avant la fin de l’année la proposition de loi Le Roux sera débattue au parlement.


Un contrôle des armes à feu modernes, simplifié et préventif, c’est ainsi qu’est intitulée la proposition de loi n°2773 du 30 juillet 2010 présentée par les députés Claude Bodin, Bruno Le Roux et Jean-Luc Warsmann.
Nous la trouvons désuète, complexe et ne voyons pas ce qu’elle a de préventif.

En France, depuis la loi Farcy des 14-26 août 1885, le Législateur n’a eu à aucun moment à se prononcer sur l’intégralité de la législation sur les armes. Le décret-loi de 1939 pris en urgence a été utilisé comme un fourre-tout à tel point que la règlementation des armes concernant la Défense Nationale a été noyée au milieu de dispositions traitant de la petite délinquance et de la détention des armes par les particuliers.

Une affaire de vitesse pour cette proposition de loi
-  Le 3 novembre examen par la Commission des Lois, avec les retouches négociées, qui seront faites à leur bon vouloir,
-  avant Noël débat à l’Assemblée Nationale. Les députés déposeront les amendements que les amateurs d’armes auront demandés,
-  ensuite débat au Sénat dans un temps non programmé,
-  si le Sénat ne vote pas dans les mêmes termes, examen par une commission mixte députés et sénateurs.


Les collectionneurs d’armes à feu sont les grands gagnants

- Le critère de 1900 est reconnu et accepté de l’administration,

- Une carte du collectionneur permet l’accès à d’autres catégories que les armes de collection. La catégorie C est admise, reste encore à faire admettre les autres,

- Le critère du calibre militaire est abandonné, les armes à verrou seront accessibles : soit catégorie D armes de collection, soit catégorie C soumis à la carte du collectionneur.

Devant le constat de cette règlementation archaïque, incompréhensible et dont l’efficacité n’est pas démontrée, des parlementaires ont déposé trois propositions de loi innovantes, [1] claires et réalistes. Bien que conformes aux aspirations des citoyens respectueux des lois et règlements, une autre proposition a été déposée une proposition de loi n°2773 du 30 juillet 2010 [2] c’est une véritable provocation à leur égard. En effet, au-delà des nombreuses erreurs, incohérences et approximations tant en droit qu’en fait, les rédacteurs de cette dernière semblent méconnaître avant tout le régime républicain de notre démocratie et la place des citoyens dans celle-ci !

Un contenu qui dérange

Dès son préambule de cette proposition de loi n°2773, il est proclamé que « l’acquisition et la détention d’une arme à feu ne constituent pas un droit mais un privilège qui emporte certaines responsabilités pour les citoyens ». En fait, il s’agit d’imposer le principe général de prohibition cher à Bruno Le Roux. Manifestement, les rédacteurs de ce texte ont oublié que depuis la nuit du 4 août 1789, il n’existe plus de privilèges mais uniquement des Droits et des Devoirs. Les français ne sont plus des sujets soumis à une quelconque autorité mais des citoyens qui décident pour eux-mêmes. Et le Législateur lui-même ne peut modifier la Constitution, comme l’a rappelé récemment la Conseillère d’Etat Françoise Chandernagor.
Sans concertation, l’unanimité des professionnels et utilisateurs s’est faite contre cette proclamation. A tel point que le rapporteur envisage d’introduire dans son discours de présentation : « privilège pour certains et droit pour les autres ». Nous verrons bien !

Dangereuses ou pas ?

- L’article 1er de la proposition de loi n°2773 reprend les 4 catégories de la Directive, en laissant le soin à un décret d’en fixer le contenu.
Un paragraphe de cet article mérite notre attention : « En vue de préserver la sécurité et l’ordre publics, le classement prévu aux 1° à 4° est fondé sur la dangerosité des matériels et des armes. Pour les armes à feu, la dangerosité s’apprécie en particulier en fonction du calibre, des modalités de répétition du tir ainsi que du nombre de coups tirés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un réapprovisionnement de l’arme. »
Outre le fallacieux prétexte de « la sécurité et l’ordre publics », il est évoqué une soi-disant « dangerosité » en contradiction avec ce que les mêmes rédacteurs avaient écrit dans le rapport parlementaire : « Il va de soi qu’une arme à feu ne représente en soi un danger qu’à raison du mauvais usage qu’en fait son propriétaire ou son détenteur. »
Quant à la dernière phrase, elle n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une certaine méconnaissance des armes à feu, de la règlementation européenne et de l’Histoire. Car si le vocable de « dangerosité » signifie « performances », il est douteux que les Britanniques dotés de Lee-Metford à chargeurs amovibles [3], ayant affronté les Mausers à magasin fixe de 5 coups des Boers et les Katangais armés d’AK 47 ayant croisé à Kolwezi le tir des FR1 de nos Légionnaires partagent ces affirmations.

1900 reconnu comme critère !

- L’article 2 définit les armes de collection : « 1° Les armes, chargeurs et munitions dont le modèle et dont, sauf exception, l’année de fabrication sont antérieurs au 1er janvier 1900 et dont la liste est fixée par un arrêté »
On ne peut interpréter de manière plus spécieuse les dispositions du Protocole de Vienne. Cet article sort des armes de collection non seulement les armes conçues au XX° siècle actuellement en 8ème catégorie, mais celles conçues au XIXème mais fabriquées à partir de 1900. Et la liste suggérée n’est pas une liste complémentaire mais une liste d’exception. Si ces Parlementaires pensent que des armes fabriquées au XIXème peuvent nuire à « la sécurité et l’ordre publics », où allons nous ?
Aux dernières nouvelles, le Conseil d’Etat a « tiqué » sur cette formulation avec un « et » en trop. Le paragraphe doit être reformulé par la Commission des Lois. Mais nous déposerons notre amendement.

- L’article 3 énumère toute une liste d’infractions bénignes interdisant la détention d’armes de toutes catégories et pas seulement les armes à feu soumises à autorisation. Comme ce texte manifestement bâclé ne donne aucune définition de ce qu’est une arme.
Il semble qu’actuellement les rédacteurs réfléchissent à l’introduction des armes blanches dans leur texte. Vos associations viennent de proposer de se référer uniquement au droit pénal qui définit l’arme (blanche ou non) en fonction de l’utilisation qui en est faite. Le risque de la recherche de la définition trop précise de l’arme blanche serait de transformer la France en un grand camp de nudistes. Le moindre couteau risquant de devenir un arme blanche aux yeux du législateur !

Non à la carte grise

- L’article 4 introduit au Code de défense un nouveau tuyau pour encore compliquer cette usine à gaz : « Art. L. 2337-1-1. – Toute arme à feu relevant des catégories A, B, C fait l’objet d’un certificat d’immatriculation destiné à garantir son identification et à attester de la qualité de détenteur et d’utilisateur en situation régulière de la personne qui la détient. »
La main de Bruno Le Roux est encore visible. Inutile de vous dire que professionnels et utilisateurs sont opposés à cette carte grise. Ils estiment que le récépissé de déclaration est déjà en soi une carte grise que la préfecture met à jour à chaque changement. Le rapporteur de la proposition nous explique que leur souhait est de dématérialiser ce document de façon à ce qu’un policier puisse pianoter sur son ordinateur de bord afin de voir si le forcené qu’il doit interpeller possède des armes enregistrées.

-  L’article 6 impose un délai de carence pour l’achat d’une arme de catégorie B, C, et certaines de la D. Encore une vieille lubie de Bruno Le Roux et une nouvelle preuve que les promoteurs de cette proposition de loi ne connaissent pas leur sujet.
Pour les armes de la catégorie B, il se passe plusieurs mois entre le dépôt de la demande d’avis favorable à la fédération sportive et la réception de l’autorisation préfectorale. Quant à celles des catégories C et D1 (fusil de chasse lisse), il est rare que les commerçants aient en stock et aux mesures du client l’objet convoité. Quant aux autres armes de la catégorie D, c’est-à-dire les armes de collection à quoi cela servirait-il ? Avec une telle disposition, il va être plus aisé d’acheter ses armes de chasse à l’étranger !
Le rapporteur nous a dit que cette disposition sert à éviter l’achat compulsif. Mais en France, il y a 59,5 millions de citoyens qui n’ont pas accès aux armes, le million et demi qui reste sont des tireurs, chasseurs et collectionneurs qui ont tellement de barrières à franchir pour acheter une arme qu’il s’écoule toujours un certain délai.

-  L’article 8 traite de « dispositions spéciales relatives aux collectionneurs d’armes à feu »
Et méconnait complètement la mentalité des collectionneurs en général et des collectionneurs d’armes en particulier. Certes, la reconnaissance des collectionneurs d’armes est une avancée, mais quel est l’intérêt d’être reconnu comme collectionneur pour avoir accès seulement à la catégorie C ? Ils veulent avoir accès à la B et même à la A.

Des sanctions plus sévères

-  Les articles 9 et suivants constituent une fastidieuse et inquiétante litanie de sanctions administratives, pénales et financières.
En effet, dans leur élan anti arme les rédacteurs ont prévu des peines excessives pour toute une série d’infraction en majorité non intentionnelles.
Ils étendent également la possibilité de saisie administrative aux armes non déclarables, y compris donc aux armes de collection ! Quand on sait que de 2006 à 2009, les préfets ont pris à un rythme croissant 1 768 arrêtés de saisie, nous sommes en droit de mettre en doute le sérieux des procédures. Ce qui ne semble même pas avoir fait sourciller les rédacteurs de cette proposition qui sont également ceux du rapport parlementaire, [4] dans lequel nous avons trouvé cette information !

- Le 36ème et dernier article de la dite proposition fait supporter « les charges qui pourraient résulter » (sic) sur la création d’une taxe additionnelle sur les tabacs ! Que des députés qui prétendent faire une loi sécuritaire en rendant le trafic illicite du tabac plus rémunérateur est parfaitement contradictoire. Il est de notoriété publique que les trafics illicites sont interdépendants.
Mais pas plus que les fonctionnaires du groupe de travail présidé par le Préfet Molle, les rédacteurs de la proposition ne semblent s’être souciés à aucun moment des conséquences budgétaires et économiques de leurs caprices !

Un jugement sans appel

Ce texte plutôt mal conçu n’est qu’une une nouvelle retouche du code de la défense et du décret n°95-589 du 6 mai 1995. Il aurait mieux valu une véritable réécriture de l’ensemble comme en a exprimé le souhait tant le Président de la République que le Ministre de l’Intérieur. Et nous ne voyons pas par quel miracle cette proposition de loi qui n’est que l’actuel code de la défense, lui-même issu de décret-loi de 1939, ripoliné pour être euro compatible permettrait de répondre aux motifs légitimes de sécurité publique et de défense nationale, bien au contraire. Quant à la complexité et aux « tracasseries » envers les utilisateurs légaux d’armes elles s’en trouvent amplifiées !






[1Propositions de loi n°2949 du 14 mars 2006, n°94 du 18 juillet 2007 et n° 2472 du 29 avril 2010, de Franck Marlin

[2Proposition de loi n°2773 déposée par Bruno Le Roux, Claude Bodin et Jean-Luc Warsmann,

[3Chargeurs Lee à 8 coups pour le MKI et à 10 coups pour le MKII

[4Rapport d’information n° 2642 présenté par M. Claude BODIN en conclusion des travaux d’une mission d’information présidée par M. Bruno Le ROUX.

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